ENTRETIEN. Les stéréotypes dans le sport, “c’est en train de bouger” selon la directrice du football féminin Frédérique Jossinet

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Frédérique, avez-vous été confrontée aux stéréotypes de genre lorsque vous étiez judokate ?

Frédérique Jossinet :
Quand j’étais enfant, paradoxalement, pas du tout. Au judo c’est un environnement fermé, qui rassure plutôt les parents et c’est aussi pour ça qu’ils mettent les petites filles au judo. Et ça, je ne suis pas sûre que ça soit un stéréotype, mais plutôt une sécurité pour eux. Il n’y avait pas beaucoup de filles, mais il y avait des filles et des garçons. J’ai grandi et j’ai été éduquée par le judo dans ce cadre-là. Nous étions considérés de la même manière par les professeurs de judo et les encadrants. Il n’y avait pas de stéréotypes comme le fait qu’une judokate ne puisse pas faire telle prise de judo. Nous avions tous le même programme, le même passage de grade en même temps. Nous étions beaucoup dans la mixité et on avait, entre guillemets, les mêmes considérations, et pas de stéréotypes.”

Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez pris conscience qu’il y avait des clichés autour des judokates ?

F.J
:”Quand je suis entrée dans un parcours haut-niveau, des performances jeune élite jusqu’au podium olympique, là c’était un peu différent. Je suis arrivée chez les seniors et quand on parlait avec les judokas et les entraîneurs féminins ou masculins j’ai beaucoup entendu : ‘C’est très compliqué à faire quand on est une fille‘. Je me suis inspirée du judo masculin et ça a plutôt bien marché (rires). Quand j’ai justement “performé”, certains me disaient : ‘l’approche du judo féminin, ce n’est pas vraiment du judo’. Et moi, j’étais dingue, je leur disais : ‘Mais comment vous pouvez dire ça ?’ Tout le monde me répondait : ‘Mais toi c’est pas pareil, tu as un judo de garçon. C’est pour ça que tu es performante.’ C’était un stéréotype. Il y a un judo, on se l’accapare et on l’adapte à son profil, mais ce n’est pas un judo de garçon. Avec mes qualités physiques, psychologiques,  je le mettais en place peut-être même mieux que chez les garçons, et donc j’étais performante.”

Pensez-vous que les clichés ont influé sur la manière de pratiquer votre sport ?

FJ :
Alors oui, parce que garçons et filles ont les mêmes bases, nous avons les mêmes leviers pour aller vers la performance et pour nous exprimer pleinement. Et je dirai également non, car nous avions tous le même programme, adapté à notre catégorie de poids mais pas à notre genre. C’est moins le cas maintenant. J’ai entendu parler de programmes adaptés parce que tel ou tel exercice était trop compliqué pour les filles. Alors que ce n’est pas vrai…”

Frédérique Jossinet (en blanc) face à Laetitia Payet (en bleu) lors des Championnats d'Europe de judo à Tcheliabinsk, le 26 avril 2012.
Frédérique Jossinet (en blanc) face à Laetitia Payet (en bleu) lors des Championnats d’Europe de judo à Tcheliabinsk, le 26 avril 2012.

© NATALIA KOLESNIKOVA / AFP

En tant que judokate vous-a-t-on déjà considérée comme un “garçon manqué” ?

FJ :
 “Paradoxalement, ce n’est pas en pratiquant le judo qu’on m’a catégorisée comme garçon manqué mais quand j’allais dans d’autres sports. J’ai joué au foot, au hand et c’était plus dans ces sports collectifs qu’on me classait comme garçon manqué ou parce que je faisais du bicross avec mes copains et mes copines dans les collines. Mais au judo, je n’ai jamais entendu que j’étais un garçon manqué.”

C’est quoi être féminine pour vous ? Le judo permet-il cette féminité ?

FJ : 
Chacun a sa forme de féminité et l’exprime à sa manière. Quand on fait un sport de combat, rester féminine, c’est un peu compliqué. Nous n’avons pas le droit au vernis à ongles, nous ne sommes pas maquillées, nous sommes coiffées avant le combat mais après, plus vraimentQuand j’étais en combat et que je m’entraînais, bien sûr que je restais une femme. J’étais une athlète, une sportive de haut niveau avant tout. Je devenais presque quelqu’un d’autre. Quand j’étais athlète, j’avais une attention particulière pour la récupération et comment je prenais soin de moi. Est-ce que c’est ça être féminine ? Peut-être, mais c’était pour moi une manière de me sentir bien dans mon corps en tant que femme.”

Vous êtes désormais directrice du football féminin à la Fédération française de football (FFF), retrouvez-vous des stéréotypes rencontrés pendant votre carrière de judokate ?

FJ :
 “Le football, c’est un monde un peu différent. Je suis arrivée à la FFF en 2014. Ce sont les mêmes règles, le même arbitrage, le même sport que chez les hommes. On me parlait de football féminin, mais on ne dit jamais football masculin, on dit football. Je suis partie de ce constat-là. À l’époque, tout était rose et violet : la D1 féminine, la semaine du foot féminin, le football des princesses, c’était une action qu’il y avait à l’école. Pour moi, c’était un stéréotype de genre. Aujourd’hui, les couleurs de la FFF, c’est le bleu, le blanc et un peu de rouge. Il fallait que les filles se sentent considérées comme les garçons et donc revoir entièrement la charte graphique pour transformer ce rose-violet. Des stéréotypes, j’en entends tous les jours et notamment dans les médias comme ‘‘ça court moins vite, ça va moins haut et c’est moins puissant‘. Oui, c’est normal, nous sommes des femmes, c’est la vie. Ce qui est embêtant, c’est de toujours comparer les deux. C’est aux médias de parler des problèmes liés aux stéréotypes de genre, ils ont la force et la puissance de faire passer des messages.”

Frédérique Jossinet, directrice du football féminin et de la féminisation au sein de la FFF, à côté de la Coupe de France, le 29 octobre 2015.
Frédérique Jossinet, directrice du football féminin et de la féminisation au sein de la FFF, à côté de la Coupe de France, le 29 octobre 2015.

© PIERRE RAPHAEL/SIPA

Depuis votre arrivée à la FFF, le nombre de licenciées a été multiplié par trois en quatre ans. Cela a-t-il changé les stéréotypes liés aux footballeuses ?

FJ :
On s’applique à essayer de développer énormément le football féminin, de le faire rayonner pour qu’il y ait de plus en plus de licenciées. Mais mon rôle, c’est aussi de féminiser les arbitres, d’avoir plus de dirigeants, d’éducatrices, d’entraîneuses de haut niveau. Ensuite, l’idée c’est que les filles qui veulent faire du foot en club doivent être aussi bien accueillies que les garçons. Par exemple, il n’y avait pas de vestiaires dédiés aux filles. Les jours de matches, les filles jouaient à 19 heures alors que les garçons faisaient tous leurs matches du samedi matin jusqu’à 16 heures. Nous nous sommes appliqués à travailler là-dessus et ça marche : on a atteint 200 000 licenciésNous avons aussi essayé de mettre en place des formations pour devenir éducatrice, 100% féminines, et cela prend énormément. Je peux vous dire que les parents sont très contents de voir leurs enfants encadrés par des femmes. Ils se sentent plus confiants, il y a plus d’attention. C’est un stéréotype, je l’avoue, mais il est plutôt positif.”

Pensez-vous que les stéréotypes dans le monde du sport pourraient complètement disparaître ?

FJ :
“Ça pourrait disparaître si on y met les moyens. Mais, cela vient de l’éducation, des mentalités, des encadrants, des entraîneurs et des commentateurs. Le sport est un reflet de la société. Je trouve que malgré tout, il y a une vraie évolution, voire une révolution dans le sport. C’est en train de bouger. Beaucoup de sportives se sont emparées presque inconsciemment de ce sujet et ont aujourd’hui un impact positif sur les stéréotypes de genre. Ça veut dire que les stéréotypes seront gommés, mais pas à 100%. Car oui, il y a une différenciation, les hommes et les femmes ne sont pas pareils, c’est physiologique. Je le vois, j’ai un petit garçon de 16 mois. Il a plein de jouets : des peluches, des poupées, des voitures… Malgré tout, il adore les ballons et quand on va dans un magasin de jouets, il va aller chercher des voitures, des camions, mais rarement des poupées ou des berceaux. Il y a quand même quelque chose qui est inné.

Des études montrent que les stéréotypes de genre sont parmi les principaux déterminants du choix de sport des jeunes filles, voire de l’abandon d’un sport. À quel point la lutte contre les clichés est-elle importante à vos yeux ?

FJ :
Les jeunes filles et les jeunes garçons ne s’inscrivent pas tout seul dans un sport. La plupart du temps, ce sont les parents qui les inscrivent. Il y a donc déjà un travail à faire vis-à-vis des parents. C’est aussi aux fédérations de mettre en place des axes de communication pour que leur pratique sportive soit multi-genrée et sans stéréotype. Aujourd’hui, il y a plus de petites filles qui font du football que de petites filles en danse. Ce n’est pas contre la fédération de danse, mais c’est un fait et c’est une victoire. Parce que ‘les filles vont à la danse et les garçons vont au football‘, ça, c’est un stéréotype. D’ailleurs, la fédération de danse est très fière d’avoir énormément de nouveaux licenciés qui sont des garçons. Ce sont deux exemples-types qui montrent que la société avance.