Investiture de Joe Biden : le retour prevu des Etats-Unis dans l’accord de Paris est-il une bonne nouvelle pour le climat ?

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Le democrate Joe Biden est officiellement investi, mercredi 20 janvier, 46e president des Etats-Unis. “Un jour nouveau se leve sur l’Amerique”, a-t-il tweete avant de preter serment au Capitole. Le nouveau president ne compte pas perdre de temps. Des mercredi, il prendra 17 decisions presidentielles pour revenir sur les mesures phares de l’ere Trump, en engageant notamment le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat. Un retour symbolique que Francois Gemenne, chercheur en science politique, specialiste du climat et des migrations a l’Universite de Liege, analyse.


En juin 2017, Donald Trump annoncait la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris. La nouvelle, attendue par la plupart des observateurs, inaugurait une longue liste de processus multilateraux dont Washington allait progressivement se retirer.

Le 4 novembre 2020, au terme du delai legal de trois ans necessaire a leur sortie, les Etats-Unis se retiraient formellement de l’accord. Des le lendemain, Joe Biden annoncait que sa premiere decision en tant que president serait d’y faire revenir son pays. La nouvelle etait accueillie avec enthousiasme partout dans le monde – l’ancienne secretaire executive de la Convention-cadre des Nations unies sur le Changement climatique (CCNUCC), Christiana Figueres, en fonction au moment de la signature de l’accord de Paris, se filmait meme en train de faire des bonds de joie dans son salon.

L’election de Joe Biden est indeniablement une excellente nouvelle pour la cooperation internationale contre le changement climatique. Sous Barack Obama, les Etats-Unis s’etaient engages a reduire leurs emissions de gaz a effet de serre de 26 a 28% sous leur niveau de 2005 d’ici 2025 : la presidence de Donald Trump, marquee par quatre annees de deni du changement climatique et de soutien aux energies fossiles, les a considerablement eloignes de cet objectif, qui semble aujourd’hui hors d’atteinte.

Joe Biden a quant a lui propose un plan de 2 000 milliards de dollars d’investissements dans les energies renouvelables et les infrastructures peu carbonees, avec un objectif de neutralite carbone d’ici 2050. Au-dela des actions engagees sur le plan domestique, on peut egalement s’attendre a un soutien financier renouvele a la recherche sur le climat, que ce soit a la NASA ou au GIEC, dont les financements avaient ete serieusement amputes par l’administration Trump.

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Et la decision de revenir dans l’accord de Paris au premier jour de la presidence de Joe Biden, qui pourrait prendre effet des le 20 fevrier 2021, serait evidemment un signal tres fort en faveur du multilateralisme, qui avait ete balaye par le precedent president. Le retour des Etats-Unis permettrait a l’accord de Paris de retrouver son caractere universel, qui constituait la pierre angulaire de celui-ci – seuls les Etats-Unis, sur les quelque 200 pays qui avaient signe l’accord, s’en etaient retires.

Surtout, on peut imaginer que le retour americain incite d’autres pays a revoir a la hausse leurs ambitions dans la lutte pour le changement climatique : la COP26 – qui doit se tenir a Glasgow en novembre 2021 suite a un report d’un an en raison de la pandemie de Covid-19 – devra precisement enregistrer de nouveaux engagements de reduction des emissions de gaz a effet de serre pour 2030, et seuls 14 pays ont annonce de tels engagements a ce jour.

Mais l’enthousiasme general declenche par la victoire de Joe Biden nous rend aussi aveugles a des risques lies au retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris. Ce sont ces risques que je voudrais mettre en lumiere ici. Rappelons tout d’abord que le but principal de l’accord de Paris est de fixer un cadre clair et durable a la cooperation internationale dans la lutte contre le changement climatique. C’est aussi un signal clair de stabilite qui est envoye aux marches et aux entreprises. Les atermoiements lies a la mise en oeuvre du protocole de Kyoto, entre 1997 et 2005, avaient considerablement atteint la credibilite de celui-ci, et retarde les investissements dans l’economie a bas carbone. Il est donc essentiel que l’accord de Paris beneficie de la stabilite et de la credibilite qui avaient tant manque au protocole de Kyoto.

Avant que Donald Trump ne mette a execution sa menace de sortir de l’accord de Paris, une centaine de chefs d’entreprises americaines, y compris certaines parmi les plus polluantes comme Exxon Mobil ou DuPont, avaient ecrit au president pour l’exhorter d’y rester : ce que ces entreprises craignaient encore davantage que la contrainte de reduire leurs emissions, c’etait l’incertitude et l’instabilite qu’une sortie americaine de l’accord allait immanquablement generer. C’est ainsi qu’un retour des Etats-Unis, paradoxalement, pourrait aussi affaiblir l’accord de Paris, en accreditant l’idee que la participation du deuxieme emetteur mondial de gaz a effet de serre depend du resultat de ses elections presidentielles. Une telle dependance du processus de cooperation internationale aux aleas de la politique americaine serait un signal desastreux envoye aux marches et aux entreprises.

Ensuite, il est important de souligner que la participation a l’accord de Paris n’est en rien necessaire pour decarboner son economie. Aux Etats-Unis, de tres nombreux leviers de la lutte contre le changement climatique se trouvent d’ailleurs dans les mains des maires et des gouverneurs – les villes et les Etats federes avaient d’ailleurs redouble d’efforts pour compenser le deficit d’action climatique sous la presidence Trump. Il ne faudrait pas qu’un retour americain dans la cooperation internationale soit un trompe-l’oeil pour camoufler les faiblesses de l’action federale, ce qui risque d’etre le cas si les republicains conservent la majorite au Senat ; d’autant plus que l’accord de Paris ne prevoit aucune obligation contraignante de reduction des emissions.

Il faut enfin rappeler, au risque de passer pour un rabat-joie, que les Etats-Unis n’ont jamais ete un moteur des negociations internationales sur le climat – ils n’ont jamais accueilli aucune conference des parties (COP), par exemple.

Pis encore, l’administration americaine – qu’elle soit democrate ou republicaine – a souvent tente de reduire la voilure de l’ambition collective. Ce sont les Etats-Unis, sous administration Clinton, qui ont impose dans le Protocole de Kyoto les mecanismes de marche dont personne ne voulait. Ce sont encore les Etats-Unis, sous administration Obama, qui ont pris la tete du groupe de pays qui ont pousse pour que l’accord de Paris ne contienne aucune obligation substantielle pour les Etats signataires.

La COP26 de Glasgow devra faire montre d’une ambition decuplee pour aligner les engagements des differents pays avec les objectifs de l’accord de Paris. En septembre de cette annee, la Chine a surpris tous les observateurs avec l’annonce unilaterale d’une ambition renouvelee, qui verrait ses emissions de gaz a effet de serre atteindre leur pic en 2030 au plus tard, pour atteindre la neutralite carbone en 2060. Le relevement des ambitions sera au coeur des negociations pour les prochains mois. Un retour des Etats-Unis a la table des negociations pourrait brider ces ambitions, une fois dissipe l’enthousiasme de l’election de Joe Biden.

Il sera difficile, en tout cas, de faire comme si rien ne s’etait passe au cours des quatre dernieres annees.The Conversation

Francois Gemenne, Chercheur en science politique, specialiste du climat et des migrations, Universite de Liege. Cet article est republie a partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.