Des horaires de classe modifiés, des salles réquisitionnées pour y faire manger les élèves, et un personnel plus mobilisé que jamais, entre système D et lassitude face à une situation qui dure. Depuis début novembre, tous les établissements scolaires de France doivent respecter un protocole sanitaire strict pour limiter la propagation du Covid-19. Un protocole complété mi-janvier par plusieurs mesures concernant les cantines, applicables depuis lundi 25 janvier. Celles-ci comprennent notamment le port du masque en toutes circonstances, y compris à table lorsqu’on ne mange pas, le bannissement des offres alimentaires en vrac (buffet à salades, corbeilles de pain ou de fruits…) ou encore le non-brassage entre les élèves de classes différentes. Ces règles, les établissements les appliquent tant bien que mal, en fonction de leur taille, des moyens dont ils disposent, de la configuration des lieux…
“Chez nous, pas grand-chose n’a changé avec ce soi-disant renforcement du protocole”, témoigne Marine*, directrice d’une école primaire en Seine-et-Marne. “Quand on a lu les nouvelles mesures sur le non-brassage des classes, on était sur les dents, mais le texte a été modifié au bout de quelques heures. On est donc resté sur ce qui a été mis en place depuis plusieurs mois.”
De fait, si le protocole sanitaire indique bien que “dans le premier degré, le non-brassage entre élèves de classes différentes doit impérativement être respecté”, la phrase suivante relativise largement la portée de cette mesure : “Les élèves d’une même classe déjeunent ensemble en maintenant une distanciation d’au moins un mètre avec ceux des autres classes.” Pas d’obligation, donc, à faire déjeuner chaque classe dans un espace ou à un horaire distinct.
Afin de limiter le nombre d’élèves présents dans les réfectoires, de nombreux établissements ont dû adapter les horaires de la pause déjeuner. A Pornichet (Loire-Atlantique), trois des huit classes de l’école élémentaire du Pouligou terminent les cours du matin un quart d’heure plus tôt que les autres, et ceux de l’après-midi reprennent un quart d’heure plus tard, indique son directeur, Thierry Montfort. Une organisation mise en place dès le 2 novembre, que le nouveau protocole n’a pas modifiée.
“Nous avions déjà deux salles de réfectoire, le nouveau protocole n’a donc pas eu un énorme impact dans notre établissement”, affirme pour sa part le directeur d’une école de Nantes. Ici comme ailleurs, les enfants n’ont toutefois plus la possibilité de se servir seuls des fruits ou de toucher les brocs d’eau. “Une petite hypocrisie”, pour ce directeur qui note que de retour en classe, il arrive que les élèves s’échangent des stylos ou d’autres objets.
Dans certains établissements, la crise sanitaire a en revanche lourdement modifié les habitudes. “Depuis le mois de novembre, la moitié seulement des demi-pensionnaires prennent leur repas à la cantine”, explique Patrick Vandriessche, directeur d’une école à Loos (Nord). En alternance, un jour sur deux, les autres reçoivent un repas froid dans des salles spécialement aménagées, destinées en temps normal à des activités comme le sport ou le théâtre. Un surcroît de travail pour le personnel, qui doit mettre en place les tables et les ranger chaque midi.
Les contraintes d’organisation sont d’autant plus lourdes que le nombre de bouches à nourrir est élevé. “On ne peut agir qu’à la marge”, souligne le gestionnaire d’un collège des Pyrénées-Orientales où plus de 800 repas sont servis quotidiennement. Difficile ici d’étaler davantage la pause déjeuner, qui court déjà de 11h30 à 14 heures. Le personnel de l’établissement est mobilisé au self pour distribuer couverts, pain, desserts, et une bouteille d’eau pour chaque élève. Des tâches supplémentaires qui ne sont pas sans conséquences sur la charge de travail des agents : “Quand l’équipe est au complet, ça passe, mais dès qu’il y a un absent, ça devient compliqué !”
Plutôt que de distribuer des bouteilles d’eau au moment du repas, le collège Missy de La Rochelle a choisi de désigner un responsable du pichet par table. “C’est un élève, toujours le même, qui s’est porté volontaire, qui sert les autres”, explique Audrey Chanonat, principale du collège et membre de l’exécutif national du Syndicat des personnels de direction de l’Education nationale (SNDPEN). “Dans cette situation, les maîtres-mots sont le pragmatisme et le bon sens. Nous sommes sans cesse à la recherche de solutions simples que nous puissions être capables de tenir sur le long terme.”
Dans ce collège, les élèves sont tenus de manger tous les jours à côté du même camarade de classe. Un plan de table, “qu’on a mis une semaine à réaliser”, doit être scrupuleusement respecté, sous l’œil attentif d’un surveillant. Par précaution, et afin de permettre un éventuel traçage de cas contact, il est en plus demandé à chaque élève de noter tous les jours les noms de ses voisins de table. Là non plus, la direction n’a pas pu davantage échelonner les passages à la cantine, tant pour des raisons d’organisation que d’amplitude horaire des employés de restauration, qui commencent leur journée à 5 heures du matin. Quant à l’idée de paniers-repas servis directement dans les classes, “c’est illusoire”, selon Audrey Chanonat. “Qui va préparer les paniers, qui va les monter dans les salles, surveiller les 21 classes, puis nettoyer les tables et s’occuper des déchets ?”
Aération accrue des locaux, adaptation des horaires, temps limité à un quart d’heure ou vingt minutes pour se restaurer… Tous les établissements ont adapté leur fonctionnement aux contraintes qui leur sont propres. “Grosso modo, ça ne se passe pas trop mal, mais on est au bout de ce que l’on peut faire”, prévient Michaël Vidaud, principal du collège Bernard-de-Ventadour, à Privas (Ardèche), et membre de la direction du SNDPEN. “On ne pourra pas suivre si un nouveau renforcement du protocole sanitaire devait être décidé dans les semaines à venir, sauf à jouer sur la jauge d’accueil d’élèves.” Un problème dans ce type d’établissements où de nombreux élèves se rendent par ramassage scolaire et qui ne peuvent donc pas manger chez eux.
L’absence immédiate d’une sortie de la crise sanitaire trotte dans les têtes des directeurs d’établissement. “Toutes ces mesures ont bien sûr des effets psychologiques sur les élèves. Si on n’a pas plus de perspectives à long terme, il va peut-être falloir réfléchir à fonctionner autrement”, estime Patrick Vandriessche, avouant “ne pas avoir la solution miracle”. “On ne peut pas priver indéfiniment cette jeunesse de moments de convivialité ou de temps de sport.”
* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.