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Cecile, tuee par son ex-mari malgre 22 plaintes et deux condamnations

Cécile Piquet et ses trois filles.
Cecile Piquet et ses trois filles. (Pierre Piquet)

La question hante encore les nuits de celles et ceux qui ont eu affaire a ce dossier : comment Dominique, un habitant du Val d’Oise, condamne, suivi, surveille pour violences conjugales a-t-il pu passer a l’acte ? Comment a-t-il pu prendre en otage puis tuer avec son fusil, son ex-conjointe, Cecile Piquet, le 17 decembre 2020 ?

Pour essayer de comprendre ce qui a pu mener a ce feminicide, il faut revenir au debut des violences, en 2015. Le couple a trois petites filles, une entreprise qui marche bien et beaucoup de travail. Cecile et Dominique rachetent un restaurant, lui y passe ses journees, parfois ses nuits. Il commence a boire, beaucoup, c’est le temps des premiers coups. “Il etait tombe dans un mutisme”, racontera Cecile aux gendarmes. “Il m’humiliait, disait que j’etais nulle, une bonne a rien”. Un soir de decembre 2017, Dominique rentre furieux a la maison, persuade que sa femme a une liaison. Il lui frappe la tete sur la table de la cuisine a chaque fois qu’elle dement. Leurs trois filles, a l’etage, entendent tout. “Il y avait du verre partout”, racontera l’une d’elles aux enqueteurs.

Un an plus tard, apres une nouvelle scene de violence, Cecile decide de s’enfuir. Elle prend ses filles avec elle et se refugie chez ses parents. La c’est un nouveau cauchemar qui commence : “Je l’ai entendu dire a Cecile qu’il la tuerait”, se souvient son pere, Pierre Piquet. “Il la brutalisait, il la battait, il l’insultait, il la blessait.”

“On fermait toutes les portes le soir, on ne sortait jamais sans verifier qu’il n’etait pas la. C’etait une vie epouvantable”.

a franceinfo

Des menaces d’autant plus terrifiantes qu’il y a ce fusil que Dominique utilise pour chasser le sanglier. Un jour, Cecile retrouve des munitions eparpillees sur le sol de la salle de bain. Elle les amene dans un petit sac a la gendarmerie. Une perquisition est faite au domicile du couple mais on ne retrouve pas l’arme, Dominique promet qu’il s’en est debarrasse et les recherches en restent la.

Mais Cecile ne se decourage pas. Elle va jusqu’a trois fois par semaine a la gendarmerie et multiplie les plaintes et les mains courantes. Elle en deposera 22 au total, dont une dizaine pour violences. En novembre 2019, Dominique est condamne a un an de prison avec sursis. Une peine assez consequente par rapport a la moyenne sur ce genre de faits. La justice met egalement en place un suivi pour eviter que les violences ne recommencent. Les juges obligent Dominique a voir un psychiatre, lui interdisent de porter une arme et d’approcher de son ex-femme.

La justice prend donc l’affaire au serieux. Mais il y a une faille dans cette condamnation : Dominique a interdiction d’approcher de son ex-femme sauf, et c’est la tout le probleme, au sein de l’entreprise qu’ils dirigent ensemble. La justice considere qu’on ne peut pas empecher Dominique de travailler et donc d’acceder a sa societe. C’est pour ce meme motif que les juges refusent a Cecile un telephone grave danger, et une ordonnance de protection, les deux outils que propose la loi pour proteger les femmes victimes de violences.

L’entreprise devient donc un angle mort et le harcelement continue. “Il epinglait le cheque de pension alimentaire avec un post-it ‘pour la sale pute’ [dans l’entreprise]. Il refusait que l’on nettoie les toilettes pour femmes, qu’il avait volontairement souille”, raconte l’un des avocats de Cecile, Me Yves Beddouk. Alors la mere de famille fait avec les moyens du bord. A 80 ans son pere devient son garde du corps. Il l’amene au travail le matin, la ramene le soir, la suit partout. Sauf le soir du 17 decembre 2020. Ce jour-la, Cecile decide de repasser seule a l’entreprise pour fermer les locaux. Dominique l’attend, un fusil a la main, il tire et blesse gravement deux employes. Il tue ensuite Cecile, et se suicide quelques minutes apres.

Le soir de la mort de Cecile, Me Maryam Hajji n’a pas dormi de la nuit. Comment Dominique, son client, qu’elle avait eu au telephone quelques heures avant, avait-il pu passer a l’acte ? Malgre le suivi, personne n’a reussi a detecter la dangerosite de cet homme “accule”, selon son avocate. La question n’a pas de reponse evidente. Mais pour Me Sonia El Midouli, l’une des avocates de Cecile, le probleme c’est que l’on evalue la dangerosite de l’homme violent a l’aune de sa victime, de ce qu’elle montre, de ce qu’elle raconte. Or, Cecile etait une femme forte, solide, souriante jusque dans les couloirs de la gendarmerie. “On ne voyait pas la peine sur elle, elle ne venait pas en pleurs, avec des hematomes.”

“Elle expliquait les choses de maniere tres rationnelle, et donc peut etre qu’elle paraissait un peu froide aux gendarmes. Elle n’avait pas l’image de la victime par excellence”

a franceinfo

A la gendarmerie, les reactions sont donc parfois “tres insuffisantes”, regrette le pere de Cecile. “On nous disait ‘ca va s’arranger, on n’a jamais vu quelqu’un etre tue parce qu’il y a une dispute de menage. Rentrez chez vous, vous ne risquez rien !” Malgre tout, la gendarmerie enregistre et fait remonter 22 plaintes et mains courantes au parquet. Son ex-mari est condamne a deux reprises, en novembre 2019 et en septembre 2020. Mais on ne l’eloigne pas de sa victime, regrette Brigitte Chabert, la directrice de l’association Du Cote des Femmes a Cergy (Val-d’Oise) qui a suivi Cecile pendant plus de deux ans. “C’est quand meme la triple peine pour les femmes : elles sont victimes, elles doivent quitter leur logement et en plus si elles ont une entreprise elles devraient la quitter aussi pour se proteger ? Il y a quelque chose qui ne va pas la. La personne responsable de la situation c’est l’agresseur, il faut que l’agresseur soit automatiquement evince du perimetre de la victime”, fulmine Brigitte Chabert.

Au sein de l’association Du Cote des Femmes, cette histoire a ete un tournant. “Ca change la facon d’accompagner les femmes, ca change vraiment notre travail. Peut-etre que si la loi n’avance pas, c’est a nous de faire avancer la loi. On savait qu’il pouvait y avoir passage a l’acte, peut etre que l’on n’a pas assez insiste”, analyse Brigitte Chabert au bord des larmes. Pour elle, comme pour les avocats de Cecile Piquet, tous les acteurs de ce dossier avaient un morceau du puzzle, mais personne n’a realise l’urgence de la situation. On aurait du “se dire, la il faut qu’avec les personnes qui ont pris la plainte, avec le tribunal, on se retrouve tous autour de cette situation pour l’etudier et voir comment on peut agir”.

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Pour le pere de Cecile Piquet aussi, l’idee que d’autres femmes puissent mourir comme sa fille est insupportable. “On est dans un Etat avec des regles, des lois, et des citoyens qui doivent etre proteges, on ne peut pas accepter cela”, martele Pierre Piquet. Au tribunal de Pontoise aussi, l’histoire de Cecile a marque les esprits. Depuis un mois, un magistrat travaille a plein temps pour retracer la procedure, debusquer les rates, et eviter a tout prix de revivre un jour une nouvelle affaire Cecile Piquet.

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