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Covid-19 : comment expliquer le faux départ de la vaccination dans certains départements ?

Tout ne s’est pas passé comme prévu. Une semaine après l’ouverture dans toute la France des centres de vaccination contre le Covid-19 destinés aux personnes de plus de 75 ans ou très vulnérables, certains centres ont été refermés. D’autres ont réduit leur planning d’ouverture. Des patients ont vu leur rendez-vous repoussé.

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Le 21 janvier, au Sénat, Olivier Véran faisait état de trente départements “qui se sont retrouvés avec plus de créneaux qu’ils n’avaient de doses”. Il pointait alors la responsabilité des collectivités locales, qui avaient promis des vaccinations sans disposer des doses nécessaires. Franceinfo a tenté de démêler les raisons de ce démarrage mouvementé.

Parce que certains départements ont ouvert plus de centres que prévu

Cela devrait être une bonne nouvelle. La France a réussi à ouvrir beaucoup plus de centres de vaccination que les 600 espérés pour fin janvier. A une semaine de cette échéance, le territoire en compte finalement un millier. Problème : “Ce n’est pas parce que vous ouvrez plus de centres que vous avez plus de vaccins”, rappelait Olivier Véran jeudi, lors d’une audition devant la commission des lois du Sénat, assurant qu’il avait parfois fallu procéder à une nouvelle répartition des doses entre les sites. Si les vaccins disponibles sont partagés entre plus de centres qu’attendu, certains d’entre eux doivent moins vacciner que prévu.

Si la logique mathématique est irréfutable, les causes de cette situation sont plus contestées. Pour le ministre de la Santé, c’est la faute d’élus locaux qui, disposant des locaux et du personnel nécessaire, auraient fait pression sur les préfectures pour être autorisés à ouvrir des centres. “C’est ainsi qu’on se retrouve, en lieu et place des six centres que j’avais exigés en moyenne dans les départements, avec certains départements qui comptent jusqu’à 33”, conclut Olivier Véran. En pratique, certains en comptent même davantage.

Deux points viennent cependant mettre en doute cette explication. Sur le terrain, ce ne sont pas toujours les élus locaux qui sont à l’initiative des centres. Dans les Hauts-de-France, présentés comme un “cas critique” de ce problème par le ministre, un coup d’œil à la liste des centres sur Santé.fr montre qu’ils sont presque tous ouverts dans des hôpitaux, des cliniques et des maisons de santé. “Nous n’avons même pas été consultés par l’ARS”, explique à franceinfo la mairie de Cambrai. Dans cette ville de 32 500 habitants où sont situés trois des 36 centres du département du Nord, le discours ministériel reste en travers de la gorge. “Dès qu’ils perdent un peu la face, ils se retournent vers les collectivités locales.”

Ailleurs, l’initiative des centres gérés par les municipalités est souvent partagée : la mairie de Digne, préfecture des Alpes-de-Haute-Provence, indique à franceinfo avoir été sollicitée par l’ARS pour ouvrir un centre, tandis que Sisteron, troisième ville du département, a dû plaider sa cause, avec succès, auprès de la préfecture.

Le chiffre de six centres par département évoqué par Olivier Véran recouvre aussi une réalité complexe. Dans des directives (document PDF) envoyées aux préfets, le ministère évoque bien un ratio équivalent à un centre pour 100 000 habitants, mais le présente comme un “objectif à terme”, pas un plafond. Ainsi, l’ARS du Grand Est explique à franceinfo l’avoir considéré comme un “cadrage”& au moment de valider l’emplacement des centres. La préfecture de la Marne assure que le ministère lui a tenu un discours différent : “On nous a expliqué que c’était à notre main. Que si on pensait qu’il fallait faire plus, il ne fallait pas hésiter.” La Marne compte finalement onze centres pour 560 000 habitants, auxquels s’ajoutent deux sites ouverts dans des territoires isolés, dont la mise en service est repoussée par manque de doses.

De son côté, l’ARS de Paca se félicite, dans un dossier de presse transmis à franceinfo, d’avoir mis en place un maillage “supérieur aux préconisations nationales” dans certains départements, dont les Alpes-de-Haute-Provence, qui comptent huit centres ouverts au grand public pour 160 000 habitants. “Ce nombre de centres limitera les déplacements des personnes âgées, a fortiori en période hivernale.” Sur ce territoire montagneux, n’ouvrir qu’un centre pour 100 000 habitants semblait inenvisageable, explique la mairie de Sisteron. “Il y a des gens qui auraient dû faire 150 km, dans des zones montagneuses, sur des routes difficiles, avec de la neige, pour se faire vacciner.” Une problématique que n’ignore pas Olivier Véran, qui a également revendiqué, devant le Sénat, d’avoir fait “le choix de la proximité”, par rapport au modèle des “vaccinodromes” allemands.

Parce que les rendez-vous n’ont pas été pris en fonction du nombre de doses

C’est l’autre argument mis en avant par Olivier Véran au Sénat : le ministre de la Santé accuse trente départements de “surbooking”. C’est-à-dire d’avoir proposé davantage de rendez-vous qu’ils n’avaient de doses disponibles, dans l’espoir d’en obtenir davantage.

Sur le terrain, les municipalités jointes par franceinfo assurent que dans leurs centres, aucun rendez-vous n’a été ouvert sans l’accord de la préfecture. “Le mardi soir (12 janvier), on me confirme que je suis centre de vaccination et surtout on me dit que je serais ouvert sept jours sur sept”, assure à franceinfo le maire de Cernay-lès-Reims (Marne), Patrick Bedek. Le vendredi matin, c’est sur cette base que sont ouverts les rendez-vous. “Le vendredi après-midi, la préfecture me dit : ‘désolé, mais on n’a pas assez de vaccins'”. L’ouverture du centre a finalement été réduite à trois jours, puis deux pour la semaine suivante. Les rendez-vous pris sur les autres dates ont dû être reprogrammés. Même son de cloche à Fismes, où la vaccination a été réduite de cinq à deux jours par semaine. “Les rendez-vous sur Doctolib n’avaient été ouverts que quand le sous-préfet a dit que l’on pouvait et que l’on aurait assez de doses.”

La préfecture de la Marne se défend auprès de franceinfo d’avoir eu directement la main sur la plateforme de rendez-vous, mais affirme surtout qu’elle n’avait aucune raison de douter que les créneaux ouverts le 15 janvier au matin pourraient être assurés. “Les premiers jours, on avait l’assurance de Santé publique France d’avoir des réassorts autant qu’on vaccinerait.” C’est le lendemain qu’elle dit avoir été informée du manque de doses, et avoir “immédiatement” demandé de bloquer la prise de rendez-vous.

A Digne, la mairie confirme également qu’au moment de créer le centre et de décider du nombre de créneaux ouverts par jour, “nous n’avions pas d’infos sur les doses”. La capacité d’accueil journalière a été décidée en fonction de la logistique et du personnel disponible. “Nous avons commencé prudemment, en pensant pouvoir monter en puissance dans les semaines suivants. Finalement, on se rend compte qu’on n’a bien fait de ne pas prévoir davantage” de rendez-vous. Si le centre n’a pas eu à annuler de vaccination pour l’instant, l’ARS lui a demandé de bloquer la prise de rendez-vous en ligne.

Après ce raté initial, les différents acteurs placent leurs espoirs dans le fait de savoir à l’avance combien de doses ils doivent recevoir, ce qui n’était pas forcément le cas jusqu’ici. Dans les Hauts-de-France, par exemple, ce n’est que le 21 janvier, après une réunion d’urgence, que l’ARS et la préfecture de région ont promis à chaque centre “une information hebdomadaire (…) sur la quantité de doses disponibles la semaine suivante”. La préfecture de la Marne affirme même que le ministère de la Santé a promis de livrer tous les lundis “une projection à quatre semaines” des arrivages, qui permettrait d’éviter de promettre trop de rendez-vous.

Parce que la France a reçu moins de flacons que prévu

Les différents acteurs le disent tous, quelles que soient les failles d’organisation qu’ils dénoncent : c’est entre l’ouverture de la prise de rendez-vous le vendredi 15 janvier, et celle de la vaccination, le lundi 18, que le manque de doses est devenu apparent. “La localisation des centres a été arrêtée le mercredi 13, nous avions 48 heures pour les mettre en œuvre, et c’est sans doute à ce moment”, alors que les sites avaient été prévus pour vacciner le plus possible, “que le nombre de doses espéré a diminué”, raconte la mairie de Fismes.

Un événement déterminant s’est déroulé dans cet intervalle : le 15 janvier, à la mi-journée, Pfizer, qui fabrique le vaccin le plus utilisé en France, annonce des retards dans ses livraisons de vaccins en Europe, à cause de travaux dans une usine en Belgique. “Entre vendredi, où [les premiers rendez-vous] ont été donnés, et vendredi après-midi, on a eu Pfizer qui nous dit ‘300 000 doses de moins'”, racontait par exemple le président de l’ARS d’Ile-de-France, Aurélien Rousseau, sur RTL le 19 janvier.

“On nous a donc indiqué, le samedi 16 janvier, qu’il n’y aurait pas de réassort” la semaine suivant cette annonce, rapporte la préfecture de la Marne. Et pour celle d’après, c’est “une arrivée réduite de doses”, qui est prévue. “Pour le moment, on distribue les doses qui nous restaient.” C’est cette réduction des livraisons qui explique la “pénurie”, assure la préfecture, et qui a nécessité de repousser des rendez-vous et de réduire les ouvertures de certains centres. Une situation qui nuance les désaccords sur le nombre de centres et de rendez-vous ouverts. “Il y a un contrat, les livraisons reviendront à la normale. Il faut passer le creux de la vague, mais les centres fermés rouvriront”, prédit la préfecture.

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