Guerre d’Algérie : le rapport Stora suggère de rendre hommage à Ali Boumendjel

0
271

Parmi ses propositions pour une “réconciliation des mémoires” entre Paris et Alger, l’historien français Benjamin Stora recommande la reconnaissance par la France de l’assassinat du dirigeant nationaliste Ali Boumendjel. Un assassinat, reconnu par l’officier français Paul Aussaresses dans ses mémoires. Ali Boumendjel, par son parcours, est une figure emblématique de ces milliers de disparus durant la bataille d’Alger.

Ali Boumendjel a 38 ans quand il disparaît en 1957, enlevé par les parachutistes à Alger, où il exerçait le métier d’avocat. Fils d’instituteur, Ali Boumendjel est natif de la région d’Oran, où son père officiait à l’école française. La scolarisation des enfants musulmans à l’école publique était réservée aux fils de notables. La scolarisation pour tous deviendra une des principales revendications des Algériens.

Boumendjel, qui maîtrise un français subtil tout en étant capable de plaider en arabe, est aussi le fruit de cette histoire tourmentée, où l’école française a formé une partie des dirigeants nationalistes. “C’était un érudit, un intellectuel qui adorait réciter les poèmes de Virgile, parler de peinture ou encore danser la valse”, témoigne sa nièce Fadela Boumendjel-Chitour, professeur de médecine et militante des droits humains.

Lorsqu’il passe sa licence de droit en 1943, Boumendjel milite déjà dans le giron de l’UDMA et du leader nationaliste Ferhat Abbas (qui se rallieront plus tard au FLN). Quand l’armée française, en pleine bataille d’Alger, le fait prisonnier, Ali Boumendjel, Ferhat Abbas et l’UDMA ont déjà rejoint le FLN. Boumendjel n’est ni l’un des principaux leaders du FLN, ni même un membre du comité d’avocats du FLN que le pouvoir colonial comme les généraux ont dans le viseur. Il n’émarge pas non plus au parti communiste algérien, même s’il en est proche. Mais il est militant nationaliste et accepte de défendre des combattants de l’indépendance.

Malgré les menaces, il ne prend pas le maquis et poursuit son métier pour la défense des pauvres et des sans-droits. Son fils aîné a sept ans quand Boumendjel est emporté en pleine bataille d’Alger, retenu dans une caserne. La version officielle annonce qu’il s’est jeté de la terrasse du sixième étage. Ni sa famille, ni ses proches dans les cercles militants ne croiront jamais à cette thèse du suicide dans ce qui devient aussitôt “l’affaire Boumendjel”, au sens du retentissement et du scandale immédiat que sa mort produits.

La famille reçoit à l’époque de nombreuses lettres de condoléances, dont celles de Pierre Mendès-France et François Mauriac, “qui s’excusèrent dès le lendemain au nom de la France”. L’ami et professeur de droit d’Ali Boumendjel, le juriste et homme politique René Capitant, démissionnera, lui, de la faculté de droit.

Ce qui bouleversera sa famille, c’est que jusqu’aux aveux du général parachutiste Paul Aussaresses en 2000, la mort d’Ali Boumendjel restera maquillée en suicide.

“Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas à quel point des familles entières ont été dévastées par les mensonges d’Etat”

à l’AFP

“Sa réhabilitation est une approche de la vérité. C’est bien, à condition que l’on reconnaisse qu’il a été sauvagement torturé durant des semaines, et que son assassinat a été masqué en suicide”, souligne aujourd’hui la nièce du militant.

Le rapport remis le 19 janvier 2021 à Emmanuel Macron par l’historien Benjamin Stora a pour objectif officiel de “regarder l’histoire en face” d’une “façon sereine et apaisée” afin de “construire une mémoire de l’intégration”.

A travers cette figure connue et emblématique, Benjamin Stora met en avant un dossier douloureux : celui des disparus de la guerre d’Algérie et en particulier des milliers d’hommes et de femmes qui ont disparu durant la bataille d’Alger, en cette année 1957, lorsque le pouvoir civil des représentants de la France métropolitaine en territoire algérien a été confisqué par les militaires.