A la faveur du cessez-le-feu signé en octobre 2020, la production de pétrole s’est spectaculairement redressée en Libye, atteignant 1,2 million de barils par jour en décembre. Elle a ainsi été multipliée par dix en quelques semaines, signe d’un certain retour à la normale. Pour autant, on est encore loin de la production du temps du régime de Mouammar Kadhafi, quand elle dépassait le million et demi de barils jour. A l’époque, l’or noir était la manne absolue sur laquelle reposait la quasi totalité de l’économie libyenne et la puissance de son chef.
Mais ce redressement reste fragile, menacé déjà par l’usure du matériel, peu ou pas entretenu après une décennie de guerre civile. Ainsi, d’un coup, l’exportation a chuté de 200 000 barils suite à la fermeture d’un oléoduc victime de fuites majeures.“Ce qu’il s’est passé chez WAHA se produit chaque jour dans d’autres compagnies qui souffrent des coupes budgétaires, précise dans un communiqué la National Oil Compagny qui regroupe les acteurs du secteur.Toutes risquent de devoir réduire leur production, voire de l’interrompre totalement.”
La production reste également sous la menace de groupes armés qui s’en prennent aux installations pétrolières, exercent du chantage à l’attentat.“C’est un miracle que le secteur pétrolier continue de fonctionner malgré des infrastructures vétustes et endommagées par la guerre, la négligence ou les sabotages”, explique à l’AFP Al-Mahdi Omar, un ingénieur pétrolier libyen.
Reste enfin que ce redémarrage de l’économie pétrolière est avant tout lié à un changement de stratégie politique. C’est le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, qui en avait fait un moyen de pression.
Il y a un an, les pro-Haftar ont bloqué la production et les exportations sur les champs et terminaux les plus importants du pays dans le but de réclamer une répartition plus équitable des recettes, gérées par Tripoli. L’échec de son offensive militaire contre le pouvoir de Tripoli a modifié ses plans. Mais rien ne dit que dans un proche avenir cette politique jusqu’au-boutiste ne revienne pas au goût du jour.
Le renouveau du pétrole libyen est donc totalement lié aux négociations de paix qui se déroulent péniblement sous l’égide de l’ONU. Pas à pas, les deux camps travaillent à rétablir une unité nationale. Le 9 novembre 2020, l’émissaire de l’ONU en Libye, Stéphanie Williams, annonçait que les protagonistes étaient parvenu à un accord : “Les participants au Forum de dialogue se sont accordés sur l’organisation d’élections nationales le 24 décembre 2021.”
Mais il reste encore beaucoup de temps pour qu’un revirement des uns ou des autres se produise. La question de la présence des forces étrangères sur le sol libyen est déjà une pierre d’achoppement. Aucun camp ne semble vouloir remercier ses soutiens, turcs pour le GNA (Al-Sarraj), russes pour l’ALN (Haftar).
La population libyenne quant à elle profite bien peu de l’embellie pétrolière. Si à Tripoli les canons se sont tus, dans la capitale tout comme à Benghazi dans l’Est, la population doit désormais subir une augmentation vertigineuse du prix du pain ! La hausse est d’environ 25% pour un aliment qui reste essentiel.
La menace de révolte est prise très au sérieux, d’autant que les boulangers ont baissé un moment le rideau, face à la hausse du prix de la farine liée à sa pénurie sur le marché. Si la Libye a de nouveau du pétrole, elle n’a plus de farine.