Question de société. Jean Viard : “Cette coopération planétaire depuis un ans, c’est un phénomène historique absolument gigantesque”

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Un an de crise sanitaire et de Covid-19 : "un détonateur écologique" pour le sociologue Jean Viard. 
Un an de crise sanitaire et de Covid-19 : “un détonateur écologique” pour le sociologue Jean Viard.  (GETTY IMAGES / SCIENCE PHOTO LIBRA)

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Un an. Le Covid-19 a été pour la première fois détecté en France il y a un an, le 24 janvier 2020. Le sociologue Jean Viard est avec nous sur franceinfo, depuis le début de l’épidémie. Il est venu d’abord tous les jours, puis tous les dimanches dans ce rendez-vous, cette France plongée dans la crise sanitaire, il en a même tiré un livre, La page blanche, aux Éditions de l’Aube.

franceinfo : À l’échelle de notre pays d’abord. Que retenez vous de l’année écoulée? 

D’abord, je dirais que si j’ai chroniqué cette année, c’est parce que je pensais que c’était mon métier d’essayer de mettre en perspective, de détendre les angoisses, etc. Je l’ai fait sur votre radio, je l’ai fait beaucoup dans la presse écrite aussi, parce qu’on a besoin de se rendre compte de l’importance de la crise, du nombre de morts par rapport au nombre de morts habituels, etc. Après, si vous voulez, je prendrai trois choses.

La première en France : les gens ont suivi les règles, exceptionnellement bien. Ils râlent, mais ils font ce qu’on leur demande. C’est important. Deuxièmement, je dirais le débat démocratique a été violent, souvent caricatural et un peu ridicule. Mais c’est bon signe. C’est un signe démocratique. Je trouve ça positif. Après, on a vu un État lent, lourd quand il s’agissait de règles bureaucratiques, par contre, très rapide quand il s’agit de l’État distributeur, que ce soit le chômage partiel, il a été mis en place tout de suite, que ce soient les aides aux entreprises. Donc, on a vu un État à double dimension, lent d’un côté, qui a besoin d’être réformé, l’État de la santé notamment, la part santé, et puis l’État économique, plus distributeur.

Et puis, plus globalement, c’est un défi imposé à toute l’humanité. L’effort collectif, comme vous le rappelez souvent, a été mondial ? 

On vit un épisode de l’histoire humaine absolument inouï et je crois qu’on n’en a pas encore conscience, parce qu’actuellement, ce qu’on vit, c’est qu’on ne peut pas sortir à 18 heures, c’est comment va sa grand mère, etc. C’est normal, on vit dans l’intime en ce moment. Mais on vit un moment de l’histoire humaine où 5 milliards d’hommes regardent dans la même direction, font la même chose et se battent pour le même résultat.

Cette coopération planétaire, cette co-observation, c’est un phénomène historique absolument gigantesque. Et on a vu que pour s’en sortir, plus ou moins, disons, on a d’un côté coopérer, et de l’autre côté, remis les frontières y compris le sourire, au foyer, à la maison, etc. Et puis un investissement dans la science gigantesque : 200 laboratoires travaillent. Il y aura des tas d’effets collatéraux de la recherche. Je crois qu’il faut dire là, il y a une rupture considérable dans l’histoire des sociétés. Et si vous voulez, je dis toujours : on a sauvé 50 à 100 millions de personnes, mais on ne parle que des victimes et c’est tragique, les victimes, les chômeurs, tout ça, c’est normal d’en parler, bien sûr, là est la souffrance. Mais tous ceux qu’on a sauvés c’est 50 millions de personnes âgées. Hitler avait tué 50 millions de personnes. Il faut avoir des ordres de grandeur.

Vous avez parlé des effets sur la recherche scientifique, par exemple. Est-ce qu’il y aura d’autres changements durables que vous avez identifiés, ce qui restera même une fois que le virus aura disparu ? 

Je pense que toutes les grandes guerres ou toutes les grandes pandémies accélèrent les tendances qui étaient là avant. Nous avant, on avait une recherche, un débat sur tous les droits humains, les droits des femmes, etc. On a vu ça aux Etats-Unis avec les jeunes Noirs assassinés par la police, ou chez nous avec le débat sur l’inceste. Ça accélère. On a vu la civilisation numérique prendre en main les sociétés, on avait déjà des ordinateurs. On n’avait pas l’idée tellement de l’utiliser en télétravail. On ne l’utilisait pas pour appeler ses grands parents, etc.

Donc, la civilisation numérique s’est complètement imposée. Je pense qu’il faut dire aussi que le télétravail va bouleverser le monde du travail pour une partie des gens, et pas pour tous. Il va y avoir des choses à réguler. Les métropoles vont s’étaler davantage. On voit ça aussi bien à côté de New York qu’en France. On a vu que l’homme n’est pas maître et possesseur de la nature. Moi, je pense qu’on a accéléré le début de la guerre contre le réchauffement climatique, en un an. Et ce n’est pas fini. Cette crise rend très prudent. Mais de toute façon, on a gagné 20 ou 30 ans de débats d’idées sur comment redresser la situation de la nature et de la planète.

C’est pour ça que je parle de détonateur écologique. Je pense qu’au fond, on a accéléré la question centrale, qui est devenue centrale pour tout le monde. Alors on va s’engueuler. Il y en a qui vont être pour ralentir, d’autres qui vont être pour le capitalisme vert. On va s’engueuler tant qu’on veut, mais on sera d’accord. On va gagner ensemble la bataille contre le réchauffement climatique.

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