TEMOIGNAGES. “Je ne veux plus d’enfant” : comment le Covid-19 a chamboulé vos projets de bébés (pour le meilleur ou pour le pire)

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Le “baby boom” annoncé va-t-il se transformer en “baby crash” ? La hausse des ventes de tests de grossesse durant le premier confinement avait parfois été interprétée comme la promesse d’une natalité redynamisée. Neuf mois plus tard, les espoirs sont douchés : diverses maternités françaises constatent un recul des naissances depuis plusieurs semaines. La natalité française, au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, risque bien de s’effondrer un peu plus en 2021.

>> Covid-19 : pourquoi l’année 2021 risque d’être celle d’un “baby crash”

Comment les couples désireux d’avoir des enfants ont-ils traversé 2020 ? La pandémie de Covid-19 les a-t-elle forcés à revoir leurs projets ? A l’inverse, le confinement a-t-il été un déclic dans certains foyers ? Vous avez été des dizaines à répondre à notre appel à témoignages sur le sujet. Nous avons recontacté certains d’entre vous. Voici ce que vous nous avez raconté.

“Le confinement nous a permis d’acter l’abandon de notre projet de reproduction”

Richard*, 38 ans, sans emploi dans le Morbihan. “Dès l’annonce du premier confinement, on se dit : ‘Ça y est, c’est le moment de se décider.’ Est-ce qu’on profite de cette période de vide pour retenter d’avoir un enfant ou est-ce qu’on laisse tomber pour se consacrer enfin à nos projets personnels ? On tergiverse depuis des années. En 2013, on a perdu un enfant à quelques semaines du terme de la grossesse, sans raison apparente. D’autres fausses couches ont suivi et on a mis le projet sur pause. L’âge avançant, il est temps de trancher.

On se demande ce qu’aurait été notre vie sans ces accidents. Est-ce responsable de devenir parent dans ce monde ? Nos propres parents nous ont conçu dans l’euphorie de la victoire de la gauche en 1981. Derrière, ils ont perdu leurs illusions, avec le sida, Tchernobyl, les attentats, le réchauffement climatique… On ne se fait pas d’illusions pour l’avenir et nos valeurs, plutôt écolos et décroissantes, ne nous incitent pas à foncer tête baissée.

“On se rend compte que nos enfants perdus ont peut-être été ‘chanceux’ de ne pas naître.”

à franceinfo

Réaliser cela a été un choc, difficile mais libérateur. En quelques jours, le confinement nous a permis d’acter l’abandon de notre projet de reproduction. On a choisi d’exploiter cette période autrement. Ma femme a peint des tableaux, lancé sa marque et son identité visuelle. J’ai écrit mon premier livre et enregistré un album à distance. Nos parents n’auront jamais les petits-enfants qu’ils espéraient mais ils reconnaissent qu’à notre place, ils auraient peut-être pris la même décision.”

“Cette crise a sauvé notre couple et nous attendons un deuxième enfant”

Olivia Taverna, 39 ans, employée administrative en Haute-Garonne. “Quand le premier confinement arrive, David et moi sommes sur le point de nous séparer. Nos difficultés ne sont pas nouvelles. A l’époque des attentats à Paris, nous habitions à 20 mètres du Bataclan. J’ai été traumatisée et j’ai voulu rejoindre ma région d’origine, Toulouse. Nous avons sauté le pas en 2018, peu avant la naissance de notre fils, mais mon conjoint a pris peur. Il s’est mis à travailler énormément, par crainte de manquer d’argent, car j’étais en congé parental. On ne se voyait quasiment plus.

En obligeant mon compagnon à être à la maison, le confinement sauve notre couple. Le télétravail nous permet de nous rapprocher et de nous retrouver. Malheureusement, pendant l’été, nous attrapons tous le coronavirus, y compris mes parents. Ils sont très fragiles et j’ai très peur qu’ils en meurent. C’est dur mais finalement on s’en sort tous. 

“Comme après le Bataclan, on a l’impression d’être des survivants. La vie est courte et on veut en profiter.”

à franceinfo

Le deuxième confinement est un déclic. A bientôt 40 ans et en pleine reprise au travail, il n’est pas du tout question de retomber enceinte. Mais qu’est-ce qu’il nous reste quand tout s’écroule ? Notre famille. Est-ce qu’au fond de moi je n’ai pas envie d’un deuxième enfant ? Pile quand l’idée commence à germer, je tombe enceinte – un accident, le destin. La naissance est prévue pour début août.”

"Qu'est-ce qu'il nous reste quand tout s'écroule ? Notre famille." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Qu'est-ce qu'il nous reste quand tout s'écroule ? Notre famille." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

“Mon couple a explosé à cause du confinement et mon projet d’enfant avec”

Emilie*, 37 ans, secouriste en Moselle. “En mars 2020, après deux ans de parcours dans les services de procréation médicalement assistée (PMA), je m’apprête à bénéficier d’une fécondation in vitro. J’ai déjà commencé le traitement quand le confinement nous tombe dessus. A partir de là, silence radio du centre PMA, injoignable jusqu’en juin.

La gynéco m’avait dit de continuer mon traitement même en cas de fermeture du centre – ce que je fais. Mais elle n’imaginait sans doute pas que cela durerait autant. Je gonfle d’une quinzaine de kilos, une vraie baleine. Mon caractère change aussi. Je ne suis plus moi-même. Je suis empêtrée dans mes sautes d’humeur et je ne sens pas le coup arriver. En juillet, à quelques jours de notre retour prévu au centre de PMA, mon compagnon, fatigué par nos prises de tête, me quitte pour une autre. 

Pour moi, même si je n’en aurai jamais le cœur net, ce sont les effets indésirables de ce traitement mal calibré qui ont eu raison de mon couple. Me revoilà célibataire, avec une certitude : je ne veux plus d’enfant.”

“A mon âge, ma fertilité baisse vite et ces mois perdus en PMA sont un drame”

Jeanne*, 41 ans, comptable dans la Creuse. “Cette épidémie réduit mes chances d’avoir un enfant. Dans mon centre de PMA, les pourcentages de réussite des fécondations in vitro (FIV) par transfert d’embryon sont de 10% à 40 ans, de 7% à 41 ans et de 4% à 42 ans. Ma fertilité baisse à grande vitesse et chaque mois compte. C’est une course contre la montre.

En mars, on m’appelle pour me dire que mon rendez-vous est déprogrammé. Je dois attendre quatre mois. Ma FIV a lieu en août mais cette tentative échoue. En temps ordinaire, le temps d’attente pour un nouvel essai est de trois mois.

“L’épidémie a causé un tel embouteillage dans mon centre que les délais ont été doublés.”

à franceinfo

Me voilà à patienter jusqu’en février et je n’ai aucune certitude que cette nouvelle ponction pourra bien avoir lieu : la biologiste m’a averti qu’il y avait un risque que le bloc opératoire et le personnel de réanimation soient réquisitionnés pour les patients atteints du Covid-19. Je ne serai fixée que le matin-même…

Ces mois perdus sont un drame pour nous. Mon conjoint s’est déjà inscrit dans un processus de deuil par rapport à cela. Pour moi, le plus dur n’est pas de l’accepter mais de me sentir responsable du fait que le couple n’aura sans doute pas d’enfant. En ce moment, je ressens surtout de la colère à l’égard de nos dirigeants qui, depuis des décennies, ont réduit les moyens de nos hôpitaux. Voilà comment on se retrouve aujourd’hui avec une mise en compétition des patients pour une prise en charge qui ne peut plus être offerte à tout le monde.”

"Ma fertilité baisse à grande vitesse et chaque mois compte. C'est une course contre la montre." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Ma fertilité baisse à grande vitesse et chaque mois compte. C'est une course contre la montre." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

“Après deux fausses couches traumatisantes, j’hésite à remettre ça”

Rime, 30 ans, salariée de l’industrie pharmaceutique en Ile-de-France. “Je suis tombée enceinte d’un deuxième enfant peu avant le premier confinement. Au moment de le faire confirmer par une prise de sang, le laboratoire m’annonce que je ne suis pas prioritaire et que je dois me contenter de mon test de grossesse. Ce n’est qu’à l’échographie du troisième mois, en mai, que j’ai enfin la confirmation mais aussi l’annonce que le fœtus n’a plus d’activité cardiaque… Deux jours après, prise de douleurs, je vais à l’hôpital, qui me renvoie chez moi car je ne suis pas prioritaire non plus. A la maison, je fais une hémorragie. Retour à l’hôpital et on m’accouche au milieu d’une salle d’urgences, sans anesthésie.

“J’ai failli mourir à cause de ces restrictions d’accès aux soins.”

à franceinfo

Si le Covid-19 n’était pas passé par là, je n’aurais peut-être pas fait cette fausse couche. J’ai vécu cette grossesse dans un état de panique, dans un contexte où on signait presque notre arrêt de mort en touchant nos courses ou une poignée de porte. Je n’arrivais pas à être heureuse comme lors de ma première grossesse. J’avais peur que le bébé le ressente et qu’il ne survive pas à tout ça. Mon généraliste s’inquiétait pour moi et m’a orienté vers une psy qui a essayé de m’apaiser.

En juillet, surprise : j’apprends que je suis de nouveau enceinte. Après trois mois, malheureusement, je sens que cela ne va pas et on m’annonce que j’ai fait une autre fausse couche. Celle-ci, je la mets sur le compte de la précédente, qui m’a traumatisée. Aujourd’hui, malgré mon envie d’enfant, je ne me sens pas prête à retenter. J’ai trop peur d’une troisième vague.”

>> INFOGRAPHIES. Comment l’année 2020 a affecté la démographie française

“Sans l’épidémie, on se serait posé la question de garder cet enfant”

Anna*, 36 ans, enseignante dans les Pyrénées-Atlantiques. “Je tombe enceinte en août. J’ai déjà trois enfants et il n’est pas exclu qu’on en ait un quatrième un jour. Mais, là, ce n’était pas prévu. Cette nouvelle est un drame pour nous. Mes précédentes grossesses ont été très compliquées, avec des hospitalisations et des rendez-vous réguliers. Une deuxième vague se profile et je n’envisage pas de revivre cela avec un masque, sans accompagnant et avec l’angoisse de la maladie, tout en continuant de m’occuper de mes enfants, dont un de huit ans qui est lourdement handicapé.

Quand j’étais enceinte de mon aîné, j’avais refusé d’avorter une dizaine de fois face aux médecins qui me disaient qu’il ne survivrait pas à sa malformation. Cette fois, pourtant, l’avortement apparaît comme une évidence. Cela va être assez terrible pour moi, car l’hôpital ne peut pas me garder. Je me retrouve à vivre cet avortement à la maison en faisant croire aux enfants que je suis juste malade. Depuis, j’y repense de temps en temps. Sans le Covid, on se serait posé la question de garder cet enfant.”

"Cette fois, l'avortement apparaît comme une évidence." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Cette fois, l'avortement apparaît comme une évidence." (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

“On ne comptait pas avoir des enfants si vite, nos priorités ont changé”

Cécile et Franck, 35 ans, salariés dans le bâtiment et la rénovation énergétique en Ille-et-Vilaine. “Dans l’esprit de nos proches, on est le couple qui n’aura jamais d’enfants. On leur a toujours dit qu’on avait d’autres envies avant de fonder une famille et ils se sont faits une raison. Notre priorité est de profiter de nos nouveaux boulots, qui nous passionnent, et on prévoit à terme de faire un tour du monde autour de chantiers d’habitats écologiques.

“On a plein de projets, on fonce… et ce confinement vient tout chambouler.”

à franceinfo

On est obligés de se poser. On se retrouve dans une bulle, en osmose, avec le temps d’échanger et de se recentrer. Une fois qu’on a fait le tour des parties de Scrabble et de cartes, on en vient à se demander à quoi ressemblera notre quotidien quand on aura 50 ans. On aura peut-être fait le tour de notre vie rock’n’roll et la maison risque d’être un peu vide. Surtout, l’horloge tourne. Ce n’est pas dans 15 ans qu’on pourra avoir des enfants. C’est maintenant.

Paniqué, Franck est d’abord réticent. Est-ce responsable de concevoir un enfant dans le contexte actuel, avec la planète qui se réchauffe ? Aux gens qui nous disaient qu’on était égoïstes, on répondait que l’égoïsme, c’était justement de faire des enfants. Un matin, l’envie prend le dessus. On aura des enfants et on le fera en toute conscience, en leur montrant comment agir pour la planète. Là aussi, on fonce : dans deux mois, nos jumeaux arrivent.”

* Les prénoms signalés par un astérisque ont été modifiés à la demande des intéressés.