“J’ai fait le mauvais choix” : après la défaite et l’intrusion au Capitole, ces électeurs républicains tournent le dos à Donald Trump

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Jason Walker nous a donné rendez-vous dans un parc où il avait l’habitude de jouer enfant, près de Nashville, dans le Tennessee. Ouvrier dans la fabrication de camions, cet Américain aux larges épaules était un soutien solide de Donald Trump. Depuis l’élection du 3 novembre, Jason Walker est surtout un homme en colère. “Vous voyez, nous, on est du sud des Etats-Unis”, dit-il d’un accent traînant, typique de la région. “Quand le général Lee a perdu (lors de la guerre de Sécession), il l’a reconnu.” Et ce trumpiste aimerait que son président en fasse autant.

“Il y a une victoire dans la défaite, vous savez”, insiste Jason Walker, “très déçu” par l’attitude de son candidat ces derniers mois. Comme lui, de plus en plus de républicains prennent leurs distances avec le président sortant, dont la fin de mandat est pour le moins chaotique. D’après une étude du Pew Research Center (lien en anglais), les sondés proches du parti républicain ne sont plus que 60% à le soutenir, contre 77% au mois d’août. Pour certains, les accusations infondées de fraude et les violences au Capitole, le 6 janvier, ont marqué un point de rupture.

Tout avait pourtant bien commencé entre Donald Trump et Jason Walker. L’homme est un conservateur chrétien amoureux de l’Amérique. Il a voté pour Barack Obama en 2008, mais pour des candidats républicains tout le reste de sa vie. Quand Donald Trump est entré sur la scène politique avec son slogan “l’Amérique d’abord”, les yeux de Jason Walker se sont illuminés. “Il me faisait rêver”, résume l’ouvrier. L’électeur conservateur du Tennessee, très loin des cercles politiques, admirait aussi son envie d’en découdre avec Washington. Il voyait Donald Trump en “David contre Goliath.” “Il était avec nous, il se battait pour les travailleurs”, ajoute-t-il. Jason Walker retient d’ailleurs de la présidence Trump des “accords commerciaux”, un taux de chômage très bas et le retour de troupes aux Etats-Unis. “Avec lui, on se sentait en sécurité. Il était le président de la loi et de l’ordre”, poursuit-il.

“Donald Trump, c’était le retour de notre fierté américaine.”

à franceinfo

David Martini et Hunter Baker partagent la déception de Jason Walker. Le premier, à peine plus âgé que le président sortant, est un ancien démocrate originaire du Bronx, devenu plus conservateur au fil des décennies. D’abord journaliste, ce septuagénaire de Philadelphie a travaillé pour plusieurs campagnes politiques dès les années 1980. Un peu “libertarien”, un peu “pro-vie”, il croit au travail, à une armée puissante. Il s’oppose aux allocations “trop généreuses” et aux “frontières ouvertes”. Donald Trump n’a jamais été son champion, “mais j’aimais bien ses politiques et le fait qu’il était capable de faire des choses. Il ne veut pas entendre ‘non'”, confie David Martini.

“J’ai apprécié le fait qu’il déplace l’ambassade américaine à Jérusalem. J’ai applaudi quand il a pris la décision de tuer le général iranien Qassem Soleimani. Et puis, j’aimais ses politiques économiques.”

à franceinfo

Hunter Baker, chrétien évangélique et doyen de la faculté d’arts et de sciences de l’université Union, dans le Tennessee, était aussi bien loin d’être un fervent partisan. “Vous parlez quand même d’un homme marié trois fois, qui a eu de nombreuses maîtresses, qui a construit des casinos… Beaucoup de choses que les chrétiens américains n’approuvent pas vraiment”, souligne l’universitaire. Pourtant, le 8 novembre 2016, ce chercheur en sciences politiques a voté pour lui. Tout sauf la gauche, tout sauf Hillary Clinton.

Il a même fini par adhérer à la ligne Trump, qu’il s’agisse de la baisse des impôts sur les sociétés ou des nominations de juges conservateurs à la Cour suprême, essentielles pour ce fervent opposant au droit à l’avortement. “J’avais tendance à défendre ses politiques et je pense que j’ai eu tort”, concède aujourd’hui Hunter Baker. “J’étais assez critique des gens qui le voyaient comme une menace pour la démocratie. Très clairement, j’ai fait le mauvais choix.”

Pour Hunter Baker, la bascule s’est produite après le 3 novembre. Le conservateur, convaincu que Joe Biden avait de grandes chances de l’emporter, n’a jamais cru aux rumeurs de fraudes massives, inventées et colportées par Donald Trump. “J’ai été très perturbé par ses discours et ses accusations”, se remémore-t-il. Le plus choquant fût peut-être le coup de fil du président au responsable des élections en Géorgie, révélé début janvier par le Washington Post. “Tout ce que je veux, c’est trouver 11 780 bulletins”, y réclamait Donald Trump. “C’était totalement inapproprié, digne d’un gangster”, dénonce Hunter Baker. Le candidat s’est alors montré “immature, centré sur lui-même”.

“Aux Etats-Unis, l’une des traditions les plus importantes est celle d’un transfert pacifique du pouvoir. Il a violé cette tradition de toutes les manières possibles.”

à franceinfo

Hunter Baker et David Martini n’excluent pas l’existence d’éléments frauduleux lors du scrutin, mais pas au point de faire basculer le résultat. “Cet appel n’était pas digne d’un président”, critique le retraité conservateur de Philadelphie. “Il aurait dû laisser faire ses avocats et admettre sa défaite après avoir perdu devant les tribunaux.” Plus récemment, l’ancien démocrate du Bronx n’a pas apprécié la pression exercée par Donald Trump sur son vice-président, Mike Pence, pour l’empêcher de certifier les votes du collège électoral. “Ce refus de reconnaître son échec nous a coûté deux sièges en Géorgie et la majorité au Sénat”, conclut-il, amer.

Dans le jardin de Jason Walker, seul un panneau pro-Biden, planté par son beau-fils, est encore visible. Le républicain a préféré retirer l’affiche de soutien au président. Il a pourtant cru un temps aux rumeurs de fraude. Il a même soutenu les recours portés par son équipe de campagne, car après tout, la loi le permet. Puis il y a eu ces quelques mots prononcés par son père : “Ecoute mon fils, les votes n’ont pas menti.” Jason Walker a vu les tribunaux rejeter les accusations de fraude, une par une, et Donald Trump ne rien lâcher.

“La vérité fait parfois mal, mais la vérité, c’est la vérité. On l’aurait toujours aimé s’il avait dit qu’il avait perdu.”

à franceinfo

L’électeur de Donald Trump d’hier dépeint un candidat devenu “arrogant”, “qui a joué la victime”. Même s’il lui semble possible de voter à nouveau pour lui à une future élection, Jason Walker implore : “Je n’ai vraiment pas aimé les mensonges que l’on m’a fait croire. Il faut que ça cesse.”

Dans les semaines qui ont suivi l’élection perdue, l’ouvrier du Tennessee avait l’intuition que quelque chose de grave pouvait se produire. Il assure même avoir “vu venir l’intrusion” au Capitole. “Donald Trump n’a pas commis d’actes violents, mais ses mots sont très forts”, confie-t-il. Ce patriote aurait aimé que le président calme le jeu, le 6 janvier, en appelant la foule “à faire la paix, à se réunir en tant qu’Américains” et en admettant enfin sa défaite. Au lieu de cela, le dirigeant a invité ses partisans à marcher en direction du Congrès.

“Ce jour-là était probablement la cerise sur le gâteau. Quelle honte”, commente David Martini. Sans tenir Donald Trump pour responsable des violences, il lui attribue un rôle dans les événements. “Il y avait des fans de Trump qui croyaient en une élection volée et qui voulaient changer son résultat en allant menacer des élus”, convient-il.

“Il a rendu certaines personnes folles de rage.”


à franceinfo

“Impensable, inimaginable aux Etats-Unis“, réagit à son tour Hunter Baker, plus sévère envers le président sortant. “Sa responsabilité est énorme. Il est celui qui a demandé aux gens de se rendre au Capitole, d’y être une présence intimidante !” tacle le conservateur.

Il y a quelques jours, l’universitaire a présenté des excuses (lien en anglais) aux “Never Trumpers”, ces républicains catégoriquement opposés au trumpisme. “Quand je les entendais, je trouvais cela ridicule. Je me disais qu’ils s’inquiétaient trop au sujet des mauvaises manières de Trump”, relate Hunter Baker. “En fait, ils avaient raison et j’avais tort. Son attitude personnelle montrait bien le genre de danger qu’il pourrait poser.”