Procès d’Edouard Balladur : l’ancien Premier ministre dénonce des “rumeurs” et des accusations “mensongères”

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Il a pris la parole à l’invitation du président, pendant près d’une demi-heure. Jugé à Paris pour des soupçons de financement occulte de sa campagne présidentielle de 1995, Edouard Balladur a longuement dénoncé, mercredi 20 janvier, un dossier bâti sur des “rumeurs” et des accusations “mensongères”. La veille, à la fin du long résumé de la tentaculaire “affaire Karachi” par la Cour de justice de la République, l’ancien Premier ministre avait prévenu : “J’aurai beaucoup de choses à dire.” 

L’ancien locataire de Matignon, âgé de 91 ans dont “cinquante-sept” au service de l’Etat, nie toute responsabilité dans un système de rétrocommissions illégales liées à d’importants contrats d’armement avec l’Arabie saoudite et le Pakistan. Dans cette affaire, mise au jour en marge de l’enquête sur l’attentat de Karachi en 2002, “rien ne m’aura été épargné”, affirme calmement Edouard Balladur, droit dans son costume sombre, cravate pourpre.

Selon l’accusation, l’ex-Premier ministre, qui comparaît aux côtés de son ancien ministre de la Défense François Léotard, 78 ans, a été “le grand architecte”, avec la complicité de ce dernier, de ce système de financement occulte. Un système qui aurait servi à alimenter en partie ses comptes de campagne et qui a abouti, en juin, à des condamnations de proches des deux hommes dans le volet non-ministériel du dossier.

“Ce dossier est fondé sur des approximations, des rapprochements, des coïncidences, des suppositions que rien n’atteste”, balaie-t-il. “Avec de tels procédés, on pourrait condamner n’importe qui”, déclare Edouard Balladur, son masque posé à côté de ses notes sur le pupitre.

Face à l’ancien locataire de Matignon se tenaient trois magistrats professionnels et douze parlementaires qui composent cette juridiction d’exception. Elle est la seule habilitée à juger des ministres pour des actes commis pendant l’exercice de leurs fonctions.

Edouard Balladur décrit longuement cette affaire “hors du commun” par sa durée – “voilà plus de vingt-cinq ans que mon procès est ouvert dans l’opinion publique” -, et sa “violence”. Il rappelle que ses comptes de campagne ont été validés (in extremis) par le Conseil constitutionnel, malgré un versement litigieux de 10,25 millions de francs (environ 1,5 million d’euros), en liquide et en une fois, effectué trois jours après sa défaite au premier tour de la présidentielle. “Des dons issus de collectes réalisées lors de meetings de campagne”, soutient-il.

Pour les enquêteurs, cette somme correspond plutôt à celle récupérée, quelques jours plus tôt à Genève, par l’intermédiaire libanais Ziad Takkiedine, condamné en juin dans le volet non-ministériel. Mais dans les contrats d’armement, insiste Edouard Balladur, “mon seul rôle était de décider si leur signature était compatible avec l’intérêt national et la politique étrangère que nous menions”, en lien avec le président de la République, François Mitterrand.

“Je n’ai jamais donné la moindre instruction” concernant des commissions. Dans un dossier mené par des juges d’instruction à “l’incompétence avérée”, “on dit que je ne pouvais pas ne pas savoir (…) Aurais-je l’obligation de tout savoir et d’intervenir partout ?”

Il revient ensuite sur l’attentat de Karachi, au Pakistan, en 2002 : c’est au cours de l’enquête sur cette attaque, dans laquelle 11 Français travaillant à la construction de sous-marins sont morts, qu’avaient émergé les soupçons de rétrocommissions. L’enquête avait au départ privilégié la piste d’Al-Qaïda puis s’en était éloignée pour explorer les possibles liens – non étayés à ce jour – entre l’attaque et l’arrêt du versement des commissions après l’élection de Jacques Chirac.  Cette enquête est toujours en cours.

“Plus personne ne doute de ma responsabilité”, “c’est devenu une vérité historique”, a regretté Edouard Balladur. “Vingt ans après cet attentat, la justice n’en sait toujours pas davantage sur ses causes et ses auteurs. C’est dramatique.” “Le financement de ma campagne n’a aucun lien avec l’attentat de Karachi”, a-t-il insisté, répétant sa “confiance en la vérité” et “la justice”.