La problématique de la disponibilité des vaccins contre le Covid-19 sur le continent africain rappelle de mauvais souvenirs aux experts de santé publique qui espèrent qu’ils le seront “dès que possible” alors que les infections s’accélèrent. Le pic de la première vague, en juillet 2020, a été dépassé en décembre de la même année, avec plus de trois millions de cas répertoriés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
“Le sentiment d’urgence de ne pas laisser l’Afrique à la traîne est un fardeau écrasant que nous portons tous au quotidien. Nous nous souvenons très bien de la période du VIH et du sida où l’Afrique a été laissée pour compte”, déclarait Thabani Maphosa, directeur exécutif des programmes de pays du GAVI, l’Alliance du vaccin, lors de la conférence de presse hebdomadaire du bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique le 21 janvier 2020.
L’objectif de l’Alliance, a précisé Thabani Maphosa, est de “livrer deux milliards de doses de vaccin en 2021” dans le cadre du Covax, une initiative pour assurer un accès équitable aux vaccins pour les pays les moins nantis. Ainsi, “en Afrique, la coalition s’est engagée à vacciner au moins 20% de la population d’ici la fin de 2021 en fournissant un maximum de 600 millions de doses, sur une base de deux doses par individu, distribuées par phases. Initialement, 30 millions de doses devraient commencer à être livrées dans les pays d’ici le mois de mars, avec l’objectif de couvrir 3% de la population en donnant la priorité aux professionnels de la santé et à d’autres groupes prioritaires”, précise le bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.
Selon l’agence onusienne, sur le continent africain, “la Guinée est l’unique nation à faible revenu à fournir des vaccins et, à ce jour, ceux-ci ont été administrés à seulement 25 personnes. Les Seychelles, pays à revenu élevé, est le seul sur le continent à avoir lancé une campagne nationale de vaccination”. Faute d’avoir pu obtenir un consensus en vue de faire du vaccin contre le Covid un bien public global, l’OMS insiste aujourd’hui sur la nécessité “d’une solidarité mondiale”.
“Nous d’abord, pas moi d’abord : c’est la seule façon de mettre fin à la pandémie. La thésaurisation des vaccins ne fera que prolonger l’épreuve et retarder le rétablissement de l’Afrique ainsi que celui du monde entier, a déclaré le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique.
“Il serait profondément injuste que les Africains les plus vulnérables soient forcés d’attendre des vaccins alors que des populations présentant moins de risques dans les pays riches seraient protégées”
Au sommet économique mondial de Davos, qui se tient dans un format virtuel cette année, le président sud-africain Cyril Ramaphosa est également monté au créneau. “Les pays riches du monde accaparent ces vaccins. Nous les appelons à mettre à disposition les doses excédentaires commandées et thésaurisées”, a-t-il déclaré le 26 janvier 2020 via un message vidéo depuis Pretoria adressé au sommet de Davos, rapporte l’AFP.
Le continent africain, qui compte vacciner 60% de sa population, a pris ses dispositions en dehors du soutien international pour assurer son approvisionnement en vaccins. Ainsi, à l’initiaive de l’Africa CDC, le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies qui dépend de l’Union africaine (UA), les 55 Etats membres de l’organisation peuvent faire des pré-commandes sur un site dédié. Les vaccins concernés sont ceux produits par Pfizer-BioNTech, AstraZeneca et Johnson&Johnson (à venir). L’UA a réussi à sécuriser au total 270 millions de doses.
Selon l’agence Reuters qui s’appuie sur un document de l’African Export-Import Bank (Afreximbank) en charge du financement d’une partie des achats de vaccins, les prix de ces doses varient entre 3 (environ 2,5 euros) et 10 dollars (un peu plus de 8 euros). Le vaccin le plus abordable étant celui développé par le laboratoire AstraZeneca et l’université d’Oxford.
Son coût, les conditions de conservation – chaîne classique de froid – et le fait qu’il est le seul vaccin ayant été testé sur le continent, notamment en Afrique du Sud, en font un candidat attrayant. Cependant, le prix ne saurait être un critère décisif pour les Etats africains, souligne le Dr Richard Mihigo, coordinateur du programme d’immunisation et du développement des vaccins au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique.
Le prix est certes “un facteur très important dans la politique d’acquisition des vaccins. Mais il est extrêmement important de regarder d’autres paramètres tels que (…) la sécurité et l’efficacité.” Ou encore tout simplement la disponibilité. Et l’expert d’ajouter : “C’est vrai que le vaccin produit par AstraZeneca présente des particularités assez intéressantes pour les programmes nationaux de vaccination. Mais il est important que nous puissions rester ouverts sur les autres candidats vaccins qui pourraient à terme (…) remplir presque les mêmes conditions.”
D’autant que le prix du vaccin AstraZeneca fluctue déjà alors que le laboratoire assurait en novembre dernier à l’AFP, rapporte The Guardian, que le prix de la dose serait de 2,5 euros (3 dollars) “afin de pouvoir fournir ce vaccin à la population la plus large possible, dans les conditions d’accès les plus équitables possibles”. L’Afrique du Sud, durement frappée par la pandémie, fait déjà les frais de la loi du marché. Pour s’assurer la livraison par le Serum Institute of India d’au moins un million et demi de doses en janvier et février, elle va payer le prix fort : 5,25 dollars (4,32 euros). Ce qui représente près de 2,5 fois plus que le prix appliqué aux pays européens, soit 1,78 euros d’après un tweet publié par erreur par une ministre belge. Selon The Guardian, l’Afrique du Sud serait pénalisée pour ne pas avoir participé à la mise au point d’un vaccin qui a pourtant fait l’objet d’un essai clinique sur son territoire. Sollicité par Fortune pour expliquer la tarification appliquée à l’Afrique du Sud, le Serum Institute of India a renvoyé le journal vers AstraZeneca qui a réagi en réaffirmant son engagement à mettre le vaccin “à la disposition du plus grand nombre de pays possibles et ce, sans aucun profit pendant la période de pandémie”.
Covax, accord bilatéral, ou encore programme à l’échelle continentale, les Africains ratissent large pour assurer la vaccination de leurs populations. Plusieurs pays ont annoncé récemment le démarrage de leur campagne pour les prochains mois. Le Mali compte lancer la sienne en avril. La Côte d’Ivoire, elle, est dans l’attente de 200 000 doses du vaccin Pfizer, dont la livraison a été retardée, pour une campagne qui débuterait “courant mars” 2021.
En attendant, l’OMS recommande aux pays africains de se préparer à administrer les vaccins dès qu’ils seront disponibles. Les experts comptent également sur les médias pour sensibiliser une opinion publique, polluée par la désinformation depuis le début de la pandémie, aux bienfaits de la vaccination.