“La frustration, je ne l’ai pas eue, j’ai été emporté par l’émotion” à l’arrivée, a déclaré jeudi 28 janvier sur franceinfo le skippeur Kevin Escoffier, alors que le 9e Vendée Globe a été remporté par le marin Yannick Bestaven, à son arrivée aux Sables-d’Olonne jeudi à 7 heures, 53 minutes et 59 secondes, après 80 jours en mer. Le Normand Kevin Escoffier avait dû abandonner la course, après son sauvetage en mer le 1er décembre par Jean Le Cam. Il a accueilli hier plusieurs marins, dont Yannick Bestaven, qui avait été dérouté pour venir le sauver. “En se croisant, voilà, c’est un petit câlin. On parlé de ça [du sauvetage], c’est la solidarité des gens de mer, c’est de l’empathie”, a raconté Kevin Escoffier.
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franceinfo : Qu’avez-vous ressenti quand vous avez vu arriver Yannick Bestaven qui a tenté de vous sauver ?
Kevin Escoffier : Avant de partir sur l’eau [à la rencontre de Yannick Bestaven], j’étais partagé. Je me demandais : est-ce que je vais avoir de la frustration ? Est-ce que je vais avoir un pincement au coeur ? Des regrets ? Le pincement au coeur, je l’ai eu. La frustration, je ne l’ai pas eue parce que j’ai été emporté comme tout le monde. Quand on voit ces images, j’ai été emporté par l’émotion, l’émotion de voir arriver tout d’abord le premier sur la ligne, Charlie Dalin. Et j’ai été le premier à encourager Charlie et à siffler pour son arrivée parce que j’ai été emporté par ça. J’ai eu un pincement au coeur, évidemment, parce que je suis compétiteur, parce que c’est mon sport. Et que quand j’abandonne, j’étais troisième du Vendée Globe, pas loin du deuxième, mais que je voulais me battre d’abord pour arriver et ensuite pour faire une belle place. Donc, il y avait quand même ce pincement au coeur, mais je me suis laissé emporter par l’émotion. Et ensuite avec Yannick il y a aussi ce croisement de regards. On n’était pas très nombreux puisque la conjoncture actuelle fait que la fête n’est pas aussi spectaculaire que d’habitude. Ça m’a permis d’être au plus proche de Yannick et en se croisant, voilà, c’est un petit câlin comme il y en a eu quelques-uns. Et c’est vrai que c’est un sport de solitaire. Mais voilà, de temps en temps, c’est comme ça, et on a discuté un peu avec Yannick. J’avais vu une vidéo de lui, en revenant sur terre où il expliquait qu’après avoir appris que Jean [Le Cam] m’avait retrouvé, il était très ému à bord de son bateau. Ça m’avait également beaucoup touché. On a parlé de ça. C’est la solidarité des gens de mer. C’est de l’empathie.
“Quand un concurrent abandonne, il ne faut pas imaginer que sur l’eau, on est content parce qu’on va gagner une place. Il était juste derrière moi à l’époque. Ce n’est pas du tout le cas.”
à franceinfo
Imaginiez-vous après votre sauvetage début décembre, que cela aurait autant de conséquences sur le résultat final ?
Évidemment que non. Et personne ne pouvait l’imaginer. Pourquoi ? Parce qu’il y a la météo. Parce qu’on fait un sport, à chaque fois qu’on change un facteur de temps ou un facteur de lieu, le scénario est totalement différent. C’est comme quand on fait des films de science-fiction et que vous faites un petit changement, la vie est différente et devient parallèle. C’est pareil dans la voile. Si vous changez un événement, les routes que suivront les concurrents ne seront pas les mêmes. A l’époque, ils ont eu un temps de compensation, de bonification, qui a été calculé par rapport aux éléments de l’époque, par rapport à la météo, par rapport au routage, à des éléments cartésiens. Je ne sais pas si c’est juste. On essaie de faire le moins injuste possible parce qu’on ne sait pas faire autrement. Et aujourd’hui, ces temps-là ont pris toute leur ampleur et ont donné tout ce suspens, parce qu’il y a des conditions météo assez exceptionnelles qui, comme l’expliquait Yannick Bestaven, ont fait que ça regroupait les différentes personnes. Et quand ça se regroupe, forcément des heures qui elles restent constantes, prennent plus d’importance.
Avez-vous le souvenir d’une course aussi folle que celle qu’on vient de vivre ?
Pour répondre à la question, il y a des scénarios. J’ai eu la chance de faire deux Volvo Ocean Race, c’est une course en équipage autour du monde par étapes où les étapes durent en gros une trentaine de jours. Et des fois, après 30 jours, on arrive, je ne sais pas à Lisbonne, à Newport, dans une baie ou dans une rivière où les conditions météo sont tellement compliquées que ça peut arriver qu’on perde quatre places dans les deux, trois derniers milles alors qu’on vient de faire 30 jours de mer. Mais là, non seulement on avait une flotte qui était très resserrée et même sur les temps de compensation, le suspens, je peux vous l’assurer, aurait quand même été intense. On a quand même eu aussi cette nuit Boris Herrmann qui va arriver alors qu’on était tous en train de dire : “Est-ce qu’il va faire premier ? Est-ce qu’il va faire deuxième ? Troisième ?” C’est incroyable, on aurait voulu l’écrire. J’entendais François Gabart qui disait ce midi ou ce matin, “on aurait voulu l’écrire, on se serait dit : ça va faire un peu too much”, il a totalement raison.
Boris Herrmann va arriver dans quelques minutes. Vous allez le féliciter et l’accueillir ?
Bien évidemment, pour lui, pour Jean également. Boris, c’est quelqu’un que j’ai appris à connaître parce qu’il faut savoir qu’il est Allemand, mais il s’entraîne en France, avec nous à Port-la-Forêt, donc on se côtoie régulièrement, on fait les courses ensemble, donc on finit forcément par créer des liens d’amitié. C’est un garçon très sympathique et qui a une vision. C’est bien parce qu’on est des fois franco-français, voire même breton-bretonnant, et ça permet d’avoir une vision différente et avec des certitudes qui ne sont pas forcément les nôtres. Et ça, je trouve que c’est intéressant et ça fait la richesse de notre sport ou tout du moins de la classe Imoca.
Et puis il y a eu votre aventure avec Jean Le Cam…
Et puis Jean, oui, c’est vrai que après mon naufrage, on m’a demandé si je voulais aller voir quelqu’un, si j’étais bien dans la tête. J’ai dit “non, pas besoin, j’ai eu Jean Le Cam comme thérapeute.” J’espère qu’il ne va pas me faire de facture, mais je le dis en blaguant parce que j’aime bien dédramatiser les choses.
“C’est vrai que ces cinq jours avec Jean Le Cam m’ont fait un bien fou parce que ça m’a permis de renaviguer, de voir que je n’étais pas traumatisé, que je n’avais pas peur de continuer à faire du bateau.”
à franceinfo
J’aurais pu partir en criant au premier planté sur le bateau de Jean Le Cam. Ça n’a pas été le cas et aussi parce que c’est un homme d’expérience, 60 ans, 5e Vendée Globe. Ce serait le quatrième qu’il terminerait si jamais il arrive ce soir et il a perdu trois bateaux dans sa carrière. Et je peux vous assurer que quand on en parlait, quand je lui parlais un petit peu de ma détresse, “j’ai perdu un bateau, mon sponsor”, il me disait “t’inquiète pas, Kevin, il y a des gens qui vont te dire ‘tu aurais dû faire comme ci, tu aurais faire comme ça’. Si tu es là, c’est que t’as pris les bonnes décisions. Non, continue et pense à toi.”